Les changements de pratiques sociales et leurs influences dans la vie des griots

malumiereetmonsalut Par Le 31/03/2025 à 10:43 0

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Culture

« Le principe de base du métier de griot est de faire en sorte que chaque individu soit au courant des exploits de ses ancêtres. » Image: dialloyaayaa/pixabay.com

Analyse/Dans son épopée de Soundjata Keita publiée à de multiples reprise, l’historien et écrivain guinéen Dibril Tamsir Niane (1932-2021) nous fait savoir que : « Le monde est vieux mais l’avenir sort du passé. » Même si le monde évolue, et même si la culture n’est pas figée parce qu’elle est appelée à évoluée, elle aura toujours un point d’encrage qui se situe dans un passé qui est une source d’inspiration pour des nouvelles générations qui évoluent entre tradition et modernité. Si autrefois et au 18ème siècle en particulier l’activité des griots leur conférait un statut particulier qui faisait d’eux des médiateurs, conciliateurs, dépositaires d’une mémoire collective, conservateurs et transmetteurs de musiques anciennes et en même temps compositeurs, aujourd’hui, même si l’on peut noter l’existence d’une minorité qui continue d’exercer cette activité traditionnellement parlant, elle fait face à des influences nombreuses qui impactent tant positivement que négativement, l’activité de ces artisans du verbe, et maître dans l’art de parler.

La difficulté des conditions de vie amène plusieurs jeunes à adopter des vocations uniquement dans le but de subvenir à leur besoin. Si en effet dans le cas du métier de griot on peut y voir un certain intérêt pour une mémoire culturelle qui se caractérise par la mise en pratique d’une habitude ancestrale, ce ne sont en fait que des métiers de circonstances exercés dans le but de subvenir aux besoins d’un individu ou de plusieurs ne faisant pas toujours parti d’une famille de griot. Mais même si ces faits sortent de la norme, ils démontrent tout de même que certaines circonstances de la vie nécessitent parfois de ne pas se laisser couper les ailes par les liens du sang, mais faire soi-même le choix de devenir ce que l’on veut ou qu'on a fait le libre choix de faire, au point de devenir le point initial d’une autre histoire qui sort des sentiers battus d’une tradition ancestrale qui n’attire plus beaucoup de jeunes, plus attirés aujourd’hui par autres choses. Comment en effet vivre uniquement d’un métier qui comme beaucoup d’autres dans les sociétés africaines, s’est tellement précarisé ? Les enfants ne veulent plus reprendre un flambeau ou le relais d’une activité qui ne leur rapportera rien ou presque.

Le griot des temps moderne

Aujourd’hui, même si cette activité ancestrale perdure malgré tout, on note l’ascension d’une nouvelle génération de griots dont l’activité est beaucoup plus axée sur le gain du pain et de la notoriété, plutôt que de mettre en avant les valeurs ancestrales. Les cultes de personnalités se multiplient, de même que des fanfaronnades à but lucratif. Après tout, comme l'a souligné Jean de La Fontaine (Juillet 1621 - Avril 1695) dans une de ses fables les plus connues, « tout flatteur vit au dépens de celui qui l’écoute. » Un extrait de récit très bien mis en application par une nouvelle génération de musiciens et chanteurs, qui ne cessent de développer l’art de s’attirer les faveurs des personnalités fortunées.  

Les difficultés de la vie et l’opportunisme ont données naissance à une nouvelle génération de griots new-look, qui ne reculent devant rien, et qui est très appréciée des jeunes. Une nouvelle génération de griots qui fait déjà des prestations au cours de certaines veillées mortuaire, afin de distiller dit-on, une ambiance chaleureuse qui n’a rien à voir avec les habitudes ancestrales parce qu’elle a pour but de maintenir l’audience en éveil, grâce à une originalité qui ne dit rien sur la généalogie de la personne décédée, à part des mots flatteurs et sagement improvisés dans le but de subvenir à des besoins de circonstances, contrairement à cette ancienne génération de griots que l’on retrouve plus en milieu rural et à qui on fait appel pour transmettre ou faire connaitre l’histoire de la famille de la personne en question. Il faut noter qu’en Afrique en général, et en Afrique noir en particulier, avant le XXème siècle, la littérature était beaucoup plus orale, et en langue vernaculaire. Le métier de griot était attribué héréditairement à une famille dont le descendant qui héritait de cette responsabilité, avait connaissance de la généalogie des clans de son village. On ne pouvait donc pas venir chanter les louanges d’une personne qu’on ne connait pas, ou dont-on n’a jamais entendu parler. Mais aujourd’hui, avec ces griots d’un autre genre, tout est une question d’ambiance, de festivités, d’argent, et aucun enseignement sur la vie de la personne et son histoire. Même s’il faut faire cet effort ou même si l’effort de se procurer des informations sur la personne en question est entrepris, il faut toujours prévoir une somme d’argent, afin de payer cette forme de prestation scénique. Si avant on parlait moins d’argent mais plus de devoir culturel, aujourd’hui on parle beaucoup plus d’argent, parce qu’avec le temps, certains métiers ne font que se précariser, au point d’être banaliser par plusieurs. Le griot des temps modernes ou notre contemporain, puisqu’il s’agit de lui, ne se considère pas comme une voie de la communauté dans le sens du rôle joué par la minorité qui perpétue cette activité ancestrale très importante, notamment pour les chefs de villages, qui ont notamment besoin de ces hommes, dans l’exercice de leur souveraineté. Mais pour ne pas se laisser submergée par une modernité ayant la capacité de remplacer l’annonce des tambours par les téléphones portables et autres groupes Facebook et wattsapp, il faut mettre tout en œuvre pour maintenir les activités ancestrales; il faut tolérer les bienfaits de la mondialisation, tout en maintenant des restrictions pour ne pas permettre que ce qui fait notre originalité disparaisse.    

« Le principe de base du métier de griot est de faire en sorte que chaque individu soit au courant des exploits de ses ancêtres. » Les villages en particulier doivent se battre malgré tout pour demeurer des villages, et non pas la copie d’un monde urbain qui ne cesse de s’occidentaliser, tout en entretenant dans les esprits, un amour pour le gain, plutôt que l’amour d’un héritage culturel à préserver. Peut-être faudrait-il que les communautés villageoises en particulier accordent davantage de privilèges aux griots, afin que la précarité dans laquelle certains vivent ne constitue pas davantage un obstacle pour des jeunes qui sont appelés à prendre le relais? Il faut mettre tout en œuvre afin que ceux qui exercent ce métier au sens traditionnel du terme, vivent décemment car il s’agit d’une activité à part entière, et d’une très grande nécessité. Même s’il faut vivre en fonction de son temps, au point d’admettre qu’aujourd’hui il y ait des hommes d’affaires griots, des politiciens griots, et autres, les communautés ont davantage besoin de personnes qui exercent cette activité, et qui en vivent grâce aux soutiens de leur communautés, pour ne pas la voir disparaitre et remplacé par une génération de jeunes griots aux ambitions parfois démesurées, et en totale contradiction avec celles de ceux qui sont au service d’un patrimoine culturel ancestrale, et qui sont aujourd’hui en quelque sorte dans l’obligation d’utiliser la télévision, la radio, et les autres moyens de diffusions, pour mieux se faire valoir, beaucoup plus au niveau local car à l’échelle internationale, il y a de quoi être très satisfait pour ceux qui font le choix de s’exporter.

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